Le 6 avril 2024, la ministre de la Santé Catherine Vautrin annonce qu’un plan de 2,7 milliards d’euros sera mobilisé sur dix ans en faveur des soins palliatifs, soit 1,1 milliard de plus qu’aujourd’hui. 21 départements restent dépourvus d’unité de soins palliatifs, à ce jour. En Nouvelle-Aquitaine, la Corrèze et la Creuse sont des exemples de ce manque et s’organisent autrement. Enquête data dans ces déserts médicaux.
« 50 % de Français ayant besoin de soins palliatifs, en 2022, n’y ont pas accès », alerte la Cour des comptes dans un rapport publié l’an dernier. Face à l’urgence, la ministre de la Santé Catherine Vautrin a annoncé, le 6 avril, un plan d’1,1 milliard d’euros supplémentaire sur dix ans en faveur des soins palliatifs. Une somme qui devrait permettre, entre autres, la création d’unités de soins palliatifs (USP), l’augmentation du nombre de soignant·es spécialisé·es, l’ouverture de lits à l’hôpital et la facilitation de la prise en charge des soins palliatifs à domicile.
Ces dernières années, l’offre de soins palliatifs s’est développée, mais reste très déséquilibrée sur le territoire. La Nouvelle-Aquitaine illustre cette inégalité d’accès aux soins palliatifs.
Une disparité grandissante
En Nouvelle-Aquitaine, la disparité territoriale sur l’accès aux soins palliatifs a fortement augmenté ces dernières années. Le nombre de lits en unité de soins palliatifs (LUSP) a presque doublé en Charente-Maritime tandis qu’en Lot-et-Garonne, cette offre a été divisée par deux. En cause, l’ouverture d’une unité spécialisée dans le premier département, et la suppression de la moitié des LUSP dans l’autre.
Encore plus flagrant, la Creuse et la Corrèze font partie des deux seuls départements de la région dépourvus d’USP en France. Les besoins sont pourtant importants, ces deux départements ont une population vieillissante et le taux de mortalité le plus élevé de sa région.
Soigner autrement
Même si ces départements n’ont pas d’USP, leur absence est compensée par la présence de lits dédiés à la prise en charge des soins palliatifs dans les services hospitaliers. C’est ce que l’on appelle des lits « identifiés » soins palliatifs (LISP) qui sont installés au sein de services confrontés à des fins de vie ou à des décès fréquents.
Malgré le fait que leur nombre soit supérieur à la moyenne nationale dans les deux départements, les LISP ne suffisent pas à apporter un accompagnement satisfaisant pour les personnes en fin de vie. « Lorsqu’il n’y a pas de patient en soins palliatifs, les LISP sont utilisés pour d’autres, bien que ça ne soit pas leur fonction. Je dois d’abord attendre que des lits se libèrent avant de faire entrer d’autres patients », témoigne Pierre-Jean Lhopitault, docteur qui intervient en soins palliatifs au Centre Hospitalier de Tulle en Corrèze.
Il regrette l’absence d’unité de soins palliatifs. « Une USP nous permettrait d’avoir une équipe vraiment formée, dédiée à la prise en charge de ces patients dans une même unité géographique ».
Une USP permet aussi que des salles soient aménagées pour accueillir les familles et ainsi de mettre en place « un vrai lieu de vie moins aseptisé comme le sont les services hospitaliers ». Le soignant se souvient en particulier d’un patient âgé de moins de 50 ans qui ne pouvait rester à son domicile. À défaut de trouver une structure en capacité de l’accueillir, l’homme a été orienté en EHPAD malgré son jeune âge. « Le personnel soignant a été quelque part traumatisé de devoir s’occuper de quelqu’un d’aussi jeune ».
Le soin à domicile prend le relais
À choisir, pour le bien-être des patient·es, les soignant·es privilégient parfois les déplacements à domicile plutôt que les lits dans des unités classiques. Cette forme de services est d’ailleurs de plus en plus présente. « Ce qui est nouveau, c’est l’intervention à l’extérieur, au domicile des patients », explique le docteur Lhopitault. « On est dans du concret. Ça permet de voir d’autres formes de prise en soin, de se rendre compte des réalités. Je vois des situations de vie que je ne soupçonnais pas forcément et j’assiste aux difficultés que peuvent rencontrer les gens dans leur vie quotidienne. Ce côté social est très intéressant. »
Un·e patient·e peut être hospitalisé·e à son domicile ou encore en EHPAD avec un lit médicalisé. C’est ce que l’on appelle l’hospitalisation à domicile (HAD) qui nécessite le passage régulier d’infirmier·ères et de médecins pour assurer la prise en charge du ou de la patient·e. En 2022 par exemple, 27 % des journées d’hospitalisation à domicile en France concernaient les soins palliatifs, selon la Fédération nationale des établissements d’hospitalisation à domicile (FNEHAD). Pourtant, même si l’hospitalisation à domicile est une alternative, elle peine à se développer en Creuse et en Corrèze.
Pour permettre aux patient·es de bénéficier de soins à domicile, des équipes mobiles (EMSP) se sont mises en place.
« En 2023, 25 % des prises en charge se sont faites à domicile contre 11 % en 2021 », déclare Isabelle Hnatiuk, médecin à l’EMSP du Centre Hospitalier de Guéret en Creuse. La soignante est convaincue des bienfaits du maintien à domicile. Lorsqu’elle rejoint l’EMSP de Creuse, en mars 2023, elle se bat pour son développement. « Je me souviens d’une personne qui est morte chez elle dans son lit, veillée par ses proches et son chien allongé à ses pieds », se rappelle-t-elle. « Une chambre d’hôpital, c’est froid, avec des soignants qui passent seulement une fois de temps en temps. Les personnes demandent très souvent à être soignées à domicile. C’est beaucoup plus simple et ça revient moins cher qu’une unité de soins palliatifs qui demande beaucoup plus de personnels qu’un service normal. »
Des équipes mobiles dépassées
Mais pour que le système tienne, il faut suffisamment de personnel. « Nous sommes que deux, on essaye de tenir le choc ! », déplore Isabelle Hnatiuk. Avec une médecin et une infirmière, l’équipe mobile de Creuse est bien en dessous des effectifs nécessaires.
« Cela ne nous a pas empêché d’avoir d’excellents résultats », se félicite-t-elle. Du 1ᵉʳ janvier au 31 mars 2024, l’équipe mobile a réalisé 99 interventions. « C’est énorme, mais ça montre aussi les besoins qu’il y a au niveau du département. » Ce résultat, Dr Hnatiuk a pu l’obtenir en s’investissant grandement dans son travail. « Je n’accepte pas le fait qu’en palliatif, dans mon département, on laisse une personne seule. Je donne aux patients mon numéro de téléphone et j’interviens parfois le soir et les week-ends en dehors de mes heures de travail. » Il faut compter en plus les heures de route pour se rendre au domicile des patient·es. « La Creuse, c’est un département très étendu. Aujourd’hui, je me suis rendue jusqu’à Felletin depuis le centre hospitalier. C’est tout de même 2 heures de route et on part quasiment tous les jours. » Des conditions de travail contraignantes qui peuvent avoir des répercussions dans la prise en charge des patient·es.
En plus des contraintes géographiques, les soignant·es des équipes mobiles n’ont pas de droit de prescription. Ils dépendent entièrement du médecin traitant qui doit donner son accord. « Il n’y a que des frustrations », souligne Dr Hnatiuk qui déplore le manque de marge de manœuvre et une charge administrative trop importante.
Face à toutes ces difficultés, la praticienne confie qu’elle a déjà songé à arrêter. « Quand je vais à Limoges et que je vois les moyens qu’ont l’équipe, je suis déprimée. Je me demande parfois pourquoi je continue… » Pourtant, comme elle le déplore, si elle part, « il n’y aura personne pour prendre la suite. La Creuse n’attire pas. Soit, on laisse tomber ou on fait avec ce qu’on a ».
Ces deux départements délaissés ne disposent respectivement que d’une seule équipe mobile de soins palliatifs quand les autres départements en disposent d’au minimum deux. C’était le cas de la Corrèze il y a dix ans, avant qu’elle ne soit supprimée malgré les besoins des patient·es.
Une pénurie de personnel soignant
Le docteur Lhopitault, qui travaille à l’EMSP de Tulle, dénonce, lui aussi, le manque de personnel soignant qui limite largement le maintien à domicile des patient·es. « Récemment, nous n’avons pas pu répondre à des demandes faute de personnel. Alors, on prolonge les hospitalisations au CHU, le temps qu’on puisse établir un plan de recours en soin à domicile ».
L’annonce faite par la ministre de la Santé donne l’espoir de voir une nouvelle unité spécialisée au sein des deux départements. Une promesse rapidement dépassée par la réalité des demandes, largement supérieures aux moyens accordés (pas plus de 80 millions d’euros pour la Corrèze) et le manque de personnel soignant.
« La ministre a annoncé que de nouvelles équipes allaient être déployées, c’est très bien mais ça reste un plan décennal donc, ce sera seulement dans 10 ans que tout le monde aura accès aux soins palliatifs », déclare Bernard Jomier, médecin généraliste et sénateur socialiste, écologiste et républicain (SER) de Paris. Favorable au plan décennal pour les soins palliatifs lancé fin avril 2024, il émet quelques réserves sur son application. « On se heurte à des réalités : le manque de moyens financiers, et le manque de moyens humains. Vous pouvez faire tous les plans possible, on se confrontera toujours à ces gros manques ». En 2021, le ministère de la Santé évalue à 150 le nombre de postes vacants, avec un quart des médecins de soins palliatifs susceptibles de quitter leur fonction d’ici à cinq ans. Le sénateur Bernard Jomier alerte sur un facteur supplémentaire, celui du vieillissement inéluctable de la population. « La durée de vie augmente et il faut que l’offre médicale l’accompagne. Si on ne répond pas à cet enjeu démographique, on va être en grande difficulté pour répondre à la demande en soins palliatifs. »
Le projet de loi sur la fin de vie arrivera à l’Assemblée nationale le 27 mai prochain, pour une première lecture. L’examen de la loi devrait prendre au moins un an avant sa très probable application.
Une enquête réalisée par Clémence Bailliard, Noa Darcel, Patti Delaspre, Olivia Frisetti, Alexis Girard et Lili Pateman
Dessins par Juliette Bailliard