À Bordeaux et dans sa périphérie, des terrains de football ont fleuri… parfois à deux pas des axes routiers les plus fréquentés. Entre pollution de l’air et présence de substances potentiellement toxiques en raison du revêtement synthétique, la pratique du ballon rond n’est pas sans risques. Peut-on encore jouer sans s’exposer à des menaces invisibles pour la santé ?

« Au FC Talence, nous avons environ 550 licenciés. En ajoutant  les éducateurs, les dirigeants, les arbitres, nous sommes 610 aujourd’hui. C’est énorme. » Guillaume Ricotta, vice -président administratif du club, est satisfait : le football reste un sport indémodable.  En 2023, le district de football de la Gironde comptait plus de 47 000 licencié·es (FFF). Pour Bordeaux et sa périphérie intra-rocade, ce sont 148 terrains de football qui balisent le territoire. Le Stade de Thouars où évolue le FC Talence compte, lui, quatre terrains en herbe, et un terrain synthétique. Implanté au cœur du bois de Thouars, le complexe, inauguré en 1976,  fait vivre la commune. Aussi bucolique qu’il soit, cet environnement de jeu pose pourtant question… À l’image de nombreux autres stades de Bordeaux et de sa périphérie.

Azote et particules dans l’air

Chaque soir, du mardi au vendredi, enfants comme adultes foulent le synthétique pour plus d’une heure d’entraînement. Sous les spots, dribbles, passes et contre-attaques sont légions. Les rires et consignes se font entendre, mais un autre son attire l’attention. Malgré la présence d’arbres, c’est le bruit des voitures, et non celui des oiseaux, qui domine. À seulement 50 mètres, la rocade bordelaise impose sa présence sonore. « Sur le terrain, ce que j’entends le plus, c’est vraiment le bruit des voitures. Ça peut me déconcentrer », confie Evandro Tavares, milieu de terrain au TC Talence. Mais au-delà du bruit, une autre pollution, moins perceptible, imprègne l’air… 

En cause : les particules fines, invisibles mais omniprésentes, issues du trafic routier, de l’industrie ou du chauffage domestique. « Les effets des particules fines sur la santé sont multiples : elles peuvent toucher le cœur, les poumons, le cerveau, mais aussi la reproduction », précise Fleur Delva, docteure au CHU de Bordeaux. À ces polluants s’ajoutent le dioxyde d’azote et le dioxyde de soufre, qui provoquent toux et troubles respiratoires. La pollution de l’air est aujourd’hui un enjeu sanitaire majeur : elle cause près de 7 millions de décès prématurés chaque année. Depuis 2013, elle est même classée parmi les agents cancérigènes certains pour l’homme par le Centre international de recherche sur le cancer. Et le problème se complique avec la pratique sportive : bénéfique en soi, elle multiplie aussi les risques en cas d’air pollué. « Lors d’un effort intense, la ventilation peut passer de 5 litres à plus de 200 litres par minute », rappelle La médecine du sport. Et cette hyperventilation favorise l’absorption de polluants.

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Près de 200 substances « nocives »

Si cette proximité des terrains aux grands axes routiers inquiète, une autre ombre vient noircir le tableau. Sur le revêtement synthétique, chaque foulée des joueur·euses éparpille de minuscules billes noires,  matériau de remplissage des terrains d’ancienne génération. Volatiles, ces grains contiendraient, selon l’étude de l’Université de Yale (Etats-Unis), 190 substances « nocives ». dont certaines potentiellement cancérigènes. Les chercheur·euses américain·es avaient relevé la présence d’arsenic, de chrome et de plomb dans ces billes noires.  Ajoutez à cela des brûlures presque systématiques à chaque chute, et une augmentation significative des températures, jusqu’à 10 degrés par rapport aux températures environnantes : ces terrains sont devenus la hantise de nombreux·euses joueur·euses.

Si les autorités locales talençaises se disent préoccupées par « la santé des joueurs, des citoyens quels qu’ils soient », aucune mesure d’envergure n’a pourtant été prise. La pollution de l’air ? Sophie Rondeau, adjointe chargée de la transition écologique, l’avoue : « C’est une question que l’on ne s’est jamais posée. »

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Alors, comment arbitrer entre santé par l’activité physique et exposition potentiellement dangereuse ? Quels facteurs, qu’ils soient sanitaires, économiques ou sociaux, pèsent dans la balance ? Durant plusieurs jours, nous sommes allés sur le terrain, avons mené une analyse des données, pour mieux comprendre cette réalité. Enquête au cœur des enjeux de santé publique dans la pratique du ballon rond.

Lucie Quellard, Ana Puisset–Ruccella, Eva Zanotti, Louis Tétard, Edgar Causse et Thomas Vaillot