Les coulisses de l’enquête sur la disparition des clubs de football charentais

Disparitions massives et, paradoxalement, hausse du nombre de joueurs, inégalités footballistiques entre les citadins et les ruraux. Découvrez les coulisses d’une enquête data sur les facteurs de disparition des clubs de foot en Charente.

LA DÉFINITION DE L’ENQUÊTE

Le journalisme est avant tout une histoire de terrain. Ça tombe bien, notre équipe de Data journalistes comporte dans ses rangs divers footballeurs amateurs. Originaires de Charente et d’Auvergne Rhône Alpes, ils ont tous constaté la disparition de places fortes rurales du football, voire, pour certains, de leur propre club. Décrypter les causes de ce phénomène de disparition des clubs, que nous pensions plus visible en campagne : telle a été notre mission.

Nous avons, le temps d’une semaine, évolué dans un environnement aux statistiques paradoxales, rendant par la même occasion les recherches plus sinueuses et stimulantes. En Charente, sur les 10 dernières années, le nombre de clubs n’a cessé de baisser alors que le district peut compter sur une hausse de ses licenciés. Mais, sans infrastructures, où partent les joueurs ? Les citadins, qui comptent davantage de clubs à proximité de leur domicile, sont-ils autant impactés que les ruraux, devant parfois faire de longues distances pour fouler un terrain de football ? 

Pour répondre à cette question de la manière la plus précise, nous avons dû tabler sur différents critères essentiels. D’abord, la distinction entre rural et urbain, quelque peu désuète avec la prolifération des aires périurbaines. Nous nous sommes basés sur les données de l’INSEE qui considère qu’une ville est une unité urbaine continue d’au moins 2 000 habitants. Pour compléter notre propos, nous avons également utilisé la carte de la densité de population charentaise qui permettait de bien faire ressortir les diverses zones urbaines. 

En second lieu, nous avons dû définir les tranches d’âge étudiées. Le phénomène de disparition des clubs touchant tout le monde, et encore plus les équipes séniors, nous avons fait le choix de démarrer notre enquête à la catégorie U13 (joueurs de 12 ans), dernière catégorie dans laquelle les équipes jouent à 8 sur demi-terrain et ont la possibilité d’avoir un effectif mixte. Dès les U15, les équipes doivent parvenir à composer un effectif plus grand, 11 joueurs devant être alignés sur le terrain sans compter les remplaçants. Ce choix de débuter à la catégorie U13 nous permettait donc de voir si le passage à 11 joueurs pouvait mettre en péril l’équilibre de certains clubs. 

Enfin, pour faire preuve de cohérence et de précision, nous avons dû harmoniser les appellations des divers jeux de données que nous avions récupérés, et effectuer un filtrage pour supprimer certaines composantes. Nous avons donc pris la décision de ne pas englober les clubs de futsal, pratique en vogue ces dernières années qui contribue à l’élargissement de l’offre sportive des différentes communes. 

LE TRAITEMENT DES DONNÉES

  • La difficile localisation et la collecte de données quantitatives

Dès le début de la semaine, nous nous sommes confrontés à un manque criant de données OPENDATA. En effet, l’immense majorité des statistiques est centralisée sur la plateforme privée Foot2000, rendant impossible tout traitement sans étroite collaboration avec le district (gestionnaire au niveau départemental) ou la ligue (gestionnaire au niveau régional). 

Malgré nos recherches dans les archives publiques du district, nous n’avons mis la main que sur un seul compte rendu d’assemblée générale datant de juillet 2021 et détaillant les équipes séniors en lice pour la 2021-2022. Il représente notre porte d’entrée pour analyser l’évolution des effectifs jusqu’à la saison actuelle, dont la liste des clubs est consultable dans la rubrique « compétitions » ou sur leur production Google Map

En parallèle, nous avons cherché à travailler sur l’évolution du nombre de licenciés et nous nous sommes appuyés sur un document de l’INJEP, nous détaillant le nombre de licenciés par fédération sportive en France et par département de 2016 à 2021. Un document similaire de Datagouv, comportant en plus la commune de résidence des licenciés charentais ainsi que leur sexe et tranche d’âge, nous a permis d’être plus précis, sans pour autant pouvoir tabler sur le lieu d’exercice des licenciés et avoir un recul suffisant pour gommer la baisse globale liée au COVID 19. 

Plus tardivement dans nos recherches, nous sommes parvenus à joindre Gilles Rouffignat, président du district, qui nous a été d’une grande aide en nous transmettant des données plus précises : évolution du nombre de clubs et du nombre de licenciés (garçons et filles) depuis 2016-2017 ainsi que la liste des clubs du département ayant disparus ou vu le jour sur la même période. 

Dans un dernier temps, nos multiples prises de contact avec divers spécialistes nous ont amené à rencontrer Corentin Gerbeau, étudiant en Master2 de gestion des organisations sportives à l’Université de Poitiers. Le temps faisant bien les choses, ce dernier soutenait en début de semaine son mémoire sur « l’impact des regroupements de clubs de football amateur sur le développement sportif local et la cohésion communautaire ».

  • La localisation et la collecte de données qualitatives

Au-delà des chiffres, notre enquête n’a de sens que si elle est nourrie de témoignages et de terrain. La disparition des clubs de football ayant de multiples explications, il était essentiel de parvenir à joindre divers acteurs du ballon rond. Des membres du district comme le président Gilles Rouffignat ou le secrétaire général Jean-François Selle, de la ligue de football de Nouvelle-Aquitaine comme l’ancien président Éric Biancoli, des présidents de club comme Stéphane Moreau (Foot Charente limousine), Xavier Fornel (Alliance 3B) et Didier Papin (Cognac), des coachs comme Gregory Requena (AS Aigre) et Tom Bouvier (Soyaux), ou encore des encadrants à l’image de Nicolas Goursat (ACFC). 

En parallèle, ce phénomène aux statistiques paradoxales devait être expliqué par des chercheurs au point de vue plus large. Nos entretiens avec le géographe Frédéric Grojean, responsable de la licence géographie et aménagement de l’université de Besançon et auteur de « Un football des champs et un football des villes » et Guillaume Naslin, délégué général de la Fondaction du football, nous ont permis de comprendre les facteurs nationaux et locaux de disparition des clubs de football. 

  • Le nettoyage des données

Après avoir collecté l’intégralité des données nécessaires à la réalisation de notre enquête, nous les avons importées, parfois via l’outil Tabula, dans un fichier google sheet. Les fichiers pouvant à l’origine comporter des erreurs ou être erronés suite à une modification manuelle, nous avons procédé à une analyse globale des données. 

À quatre mains, nous avons supprimé certains caractères liés à l’importation automatique de nos données qui peuvent bloquer la génération de nos tableaux croisés dynamiques. Nous nous sommes également attelés à uniformiser les noms des différents clubs qui pouvaient avoir diverses appellations selon la provenance des fichiers (Stade Ruffecois ou Ruffec FC par exemple, étaient comptabilisés comme étant deux clubs distincts). Enfin, nous avons utilisé l’outil OpenRefine et ses différents algorithmes qui nous ont permis de nous assurer que nos fichiers ne comportaient pas de doublon. 

  • La vérification des données

Malgré le fait que nos données provenaient d’organismes fiables (District, Gouvernement, INJEP), nous nous devions de croiser nos sources pour pouvoir assurer l’exactitude de nos affirmations et des données que nous diffusons. Si nous retrouvions le même chiffre dans les données de trois sources différentes, nous considérions que l’information était vérifiée et donc exploitable. Dans le cas contraire, (différence de l’ordre d’une unité entre le mémoire de Corentin Gerbeau et les chiffres du district), nous procédions à une vérification auprès de la source ou d’un organisme plus important, à l’image de la ligue de football de Nouvelle Aquitaine.

L’ANALYSE DES DONNÉES

Une fois en possession de données sourcées, vérifiées et nettoyées, nous sommes passés à l’étape de l’analyse. Pour ce faire, nous avons dans un premier temps utilisé le vidéo-projecteur de notre salle afin de pouvoir visualiser nos ressources ainsi que la carte de la Charente, véritable point d’ancrage de nos travaux sur les distinctions entre l’urbain et le rural. Nous pouvions dès lors ajouter à notre guise certaines données géographiques directement sur notre fond de carte. La projection de data nous a permis de vite tracer une ligne de travail claire et structurée.

Nous avons dans un deuxième temps utilisé les diverses formules qu’offrent Google Sheet (Filter / Sum / Moyenne) pour pouvoir analyser les mécanismes d’évolutions à l’œuvre dans le football charentais. La création de divers tableaux croisés dynamiques nous à amener à repérer des tendances distinctes comme le fait que la majorité des clubs ayant disparu depuis 2016 sont des clubs ruraux et qu’il en est de même pour les créations (même si le ratio est de six disparitions pour une création depuis 2016-2017). 

Enfin, pour visualiser au mieux l’ampleur du phénomène, nous avons utilisé l’outil datawrapper pour pouvoir spatialiser les différentes créations et disparitions de club ainsi que les inégalités entre les clubs de ville et de campagne (concentration massive des clubs en ville, temps de trajet quasiment deux fois supérieur pour les ruraux). 

LA PRÉSENTATION DES DONNÉES

Le phénomène de disparition des clubs de foot de campagne intéresse les médias qui tentent de le traiter au travers de diverses interviews, sans jamais utiliser la donnée (faute de temps et d’accès sans doute). Certains sociologues s’y sont attelés, mais la Charente, et plus largement la région de Nouvelle-Aquitaine, n’ont jamais été concernées par ces travaux. 

Il était alors essentiel pour nous de pouvoir rendre au mieux toutes les données que nous avions collectées, de manière à pouvoir vulgariser la tendance à l’œuvre actuellement en Charente. Nous avons donc fait le choix de réaliser divers diagrammes en courbe (pour montrer une évolution) ainsi que des cartographies avec la densité de population en fond de carte, pour montrer les inégalités de déplacement entre les ruraux et citadins, ainsi que la localisation des clubs sur les dernières années. 

Pour ne pas noyer notre propos dans une multitude de chiffres, et ne pas perdre la force de nos divers témoignages, nous avons également choisi d’écarter certains de nos jeux de données comme la localisation des divers lycées et établissements supérieurs de Charente. Leur concentration en ville était en effet un argument avancé par les clubs ruraux pour expliquer en partie le phénomène de perte de joueurs, pouvant amener à la suppression d’équipes, voire de clubs. Mais, l’offre scolaire étant la même depuis des années, nous n’avons pas considéré cette composante comme étant un nouveau facteur pouvant expliciter la baisse actuelle du nombre de clubs.

NOTRE BASE DE DONNÉES

Les fluctuations du nombre de clubs de football charentais étant vouées à perdurer, nous vous léguons, chers lecteurs, nos différents jeux de données créés par nos soins pour réaliser notre enquête. 

Retrouvez notre jeu de données ici.  

NOS DONNÉES SOURCES

Article de presse : 

Articles scientifiques : 

Open DATA : 

NOS INTERLOCUTEUR·RICES 

  • Gilles Rouffignat, président du district de football de Charente 
  • Jean-François Selle, secrétaire général du district de football de Charente 
  • Éric Biancoli, ancien président de la ligue de football de Nouvelle-Aquitaine 
  • Stéphane Moreau, président du club de Foot Charente limousine
  • Xavier Fornel, président d’Alliance 3B
  • Didier Papin, président de l’UA Cognac 
  • Bruno Renon, président du JS Touvre
  • Gregory Requena, coach des féminines de l’AS Aigre 
  • Tom Bouvier, coach de l’AJ Soyaux
  • Nicolas Goursat, encadrant à l’ACFC
  • Frédéric Grojean, responsable de la licence géographie et aménagement de l’université de Besançon et auteur de « Un football des champs et un football des villes »
  • Guillaume Naslin, délégué général de la Fondaction du football
  • Christian Bromberger, ethnologue et auteur de “Passion football : anthropologie d’une pratique et d’un spectacle.