50 clubs charentais ont disparu depuis 2016. Pourtant, le nombre de licencié·es ne cesse d’augmenter. Une situation paradoxale qui impacte davantage les territoires ruraux, qui peinent à recruter et fidéliser leurs joueur·euses face à l’attractivité des clubs citadins. 

« Nous nous sommes battus pour sauver ce club. Malheureusement l’état des terrains nous a fait perdre nos joueurs et nous avons été radiés ».

Le club de JS Touvre, dont Bruno Renon était président jusqu’en 2023, est un nom de plus sur la longue liste des disparitions de clubs du football charentais ces dernières années. Entre 1992 et 2024, la région Nouvelle-Aquitaine a perdu 48 % de ses clubs. Elle en comptait alors 2 782 contre 1 441 aujourd’hui.

Ces disparitions s’inscrivent dans une dynamique globale, à la fois urbaine et rurale. Guillaume Naslin, délégué général de la Fondation du football – un fonds de dotation du football français dédié aux actions de responsabilité so­ciétale – affirme qu’il y a « une diminution du nombre de clubs affiliés à la FFF », avec environ 12 000 à 13 000 clubs actifs aujourd’hui. 

Un constat qui étonne, alors que la Fédération française de football enregistre un nombre record de licencié·es cette année. 2 350 000 femmes et hommes se sont inscrit·es pour la saison 2023-2024, soit une hausse de 7 à 8 % par rapport à l’année dernière. Pour Guillaume Naslin, ces chiffres ne sont pas liés à des événements particuliers ; malgré la performance de l’équipe nationale, finaliste de la Coupe du Monde en 2022. « Il s’agit plus d’une augmentation successive depuis trois à quatre saisons ».

En Charente, si le nombre de joueurs reste quasi-stable depuis l’année 2016-2017 – il enregistre une baisse de 2 % en 2023-2024 -, le nombre de joueuses atteint des sommets : cette saison, elles sont 52 % plus nombreuses qu’en 2016-2017.

Une disparition qui touche majoritairement les clubs de campagne

Malgré la prolifération de joueur·euses, le nombre de clubs et d’équipes en lice dans les divers championnats ne cesse de baisser. Rien qu’en 2023, le département a perdu huit clubs, qui se situaient à la fois au cœur d’Angoulême et dans la campagne sud-charentaise.

Jean-François Selle, secrétaire général du district de la Charente, rapporte que l’on « est sur un ratio de trois disparitions pour une création » et que le phénomène est davantage visible dans les championnats adultes. « En sénior, tous les ans, on a une poule qui disparaît », confie-t-il.

Une perte de 25 % des joueurs séniors depuis 2015-2016, toutes divisions confondues, qui a poussé le district à supprimer la 5ème division de son championnat à partir de la saison prochaine et de reverser les équipes en division 4. 

« On a constaté une baisse régulière du nombre d’équipes en sénior et une hausse des mécontentements des clubs évoluant en 5ème division (au plus bas niveau, ndlr), car ils ne jouaient pas assez. Pour la division la plus basse, c’est 61 % des équipes qui ont disparu sur la même période. Or, si on ne changeait rien, et que l’on se contentait de suivre la courbe de disparition à l’œuvre, actuellement nous n’aurions plus que 15 équipes en 5ème division d’ici deux ans. Ce n’est pas suffisant pour faire un championnat ». 

Au grand dam des amoureux·ses du ballon rond, une cinquantaine de clubs ont mis fin à leurs activités dans le paysage charentais entre 2016 et 2024, à l’image du JS Touvre de Bruno Renon. Des disparitions qui ne s’étalent pas de manière homogène sur le territoire. 42 se trouvaient être des clubs de campagne, alors que 8 seulement étaient situés en ville. 

Des disparitions massives qui peuvent s’expliquer par la réglementation actuelle. Gilles Rouffignat, président du district de la Charente, l’annonce de but en blanc : « Quand une équipe est en inactivité depuis plus de deux ans, elle doit être radiée ». Pour pouvoir subsister, il faut parfois s’allier. Présenté comme un remède pour pallier la disparition des clubs ruraux, la fusion est un phénomène rodé dans le football rural. Avec une dérogation, deux clubs en manque de joueur·euses, à plus de 15 kilomètres l’un de l’autre, peuvent fusionner. Frédéric Grosjean, maître de conférences en géographie à l’Université de Franche-Comté et auteur de « Un football des champs et un football des villes : analyse géographique du service football dans un cadre régional » affirme : « Auparavant, on avait un maillage de territoires dense qui facilitait la fusion. Mais la disparition dans certains territoires est telle qu’on ne peut plus fusionner avec son voisin, car ce dernier est déjà à plus de 30 km de chez soi ».

En 2017-2018, Grégory Requena, coach de football diplômé du CFF3 (certificat fédéral de football), a fait le choix de parcourir 24 kilomètres pour la survie de son équipe. En début de saison, les U16 de Val de Nouère, un groupement rural regroupant le club de l’Entente Foot 16, Montignac, Balzac et Vindelle, sans laquelle « aucun des clubs n’aurait pu survivre seul », est en mauvaise posture. Malgré cette première entente, il n’a alors que 8 joueurs dans son effectif.

« À l’époque, le président voulait qu’ils partent et condamner l’équipe. C’était inconcevable pour moi. Je voulais que tout le monde puisse jouer. J’ai pris le téléphone et j’ai appelé plusieurs clubs dans l’espoir de pouvoir faire une entente. L’Inter pays d’Aigre [24 kilomètres de distance faisable en 24 minutes, ndlr] avait 23 joueurs, trop pour une seule équipe mais pas suffisamment pour en faire deux. Tout le monde y a trouvé son compte ».

Une situation face à laquelle Stéphane Moreau, président du Foot Charente Limousine, s’est retrouvé confronté. « Le Foot Charente Limousine est une entente entre trois communes – Suris, Saint Laurent de Ceris et Romazières – environ à 10 kilomètres les unes des autres. C’était l’unique solution pour pouvoir encore exister et garder une certaine structure avec un potentiel. Il manquait surtout des jeunes joueurs dans le club principal, qui a connu une époque de difficulté et perdu des joueurs de bons niveaux. Par la force des choses, le club est descendu à un niveau assez bas. Il fallait ce regroupement pour ramener des joueurs et pouvoir repartir ».

Un problème aux multiples racines

À la fois économiques, sociales, démographiques, les explications de ce phénomène de disparition des clubs et des équipes sont multiples. 

Le président du District, Gilles Rouffignat, observe que le virus du Covid-19 a participé à faire changer la « sociologie du footballeur ». Lors de la pandémie, « les pratiquants ont vu qu’il n’y avait pas que le foot dans la vie, et leurs conjoints et conjointes aussi ». De fait, les footballeur·euses choisissent dorénavant lorsqu’ils et elles veulent jouer et n’hésitent pas à planifier des activités extérieures pendant les matchs, obligeant les clubs à composer avec des effectifs amoindris et moins investis. « Avant, le football était le centre de passion des pratiquants, maintenant, c’est devenu un loisir », déplore Gilles. De même que « dans les clubs, avant c’était une famille. Maintenant, beaucoup sont devenus des consommateurs ».

Alors que le foot était l’unique activité du catalogue sportif il y a encore quelques décennies, Jean-François Selle, secrétaire général du district de Charente constate que la concurrence de l’offre sportive s’est aujourd’hui démultipliée, privant le foot de licencié·es supplémentaires.

En outre, pour le bon fonctionnement d’un club, « il faut des bénévoles, des éducateurs disponibles, des joueurs, des installations sportives adéquates, avec des collectivités mises à disposition », pointe le géographe Frédéric Grosjean.

Or, un club ne peut fonctionner sans les éducateurs-encadrants et les éducatrices-encadrantes. En huit saisons, le district a constaté une baisse du nombre d’encadrant·es, passant de 297 individus en 2016-2017 à 252 en 2023-2024. « Être éducateur sportif, c’est un métier, on ne peut pas mettre n’importe qui. Dans l’encadrement des enfants, trouver quelqu’un qui peut donner bénévolement de son temps c’est compliqué », note Nicolas Goursat, éducateur à l’ACFC.

D’autant plus que la politique actuelle de la FFF est tournée vers les formations qualificatives payantes qui creusent les inégalités. Un constat que partage Frédéric Grosjean. « Plus le niveau est élevé, plus les éducateurs doivent être diplômés et le niveau BEF – requis pour entraîner au niveau régional – peut coûter plusieurs centaines d’euros par mois aux clubs ». Un investissement conséquent qui n’est pas accessible pour la majorité des clubs, en particulier les ruraux qui doivent cumuler les actions pour joindre les deux bouts. 

Dans l’Entente Foot Charente Limousine, la part belle est faite aux sponsors et au mécénat, qui « représentent environ 80% des revenus », selon Stéphane Moreau. « On a environ une centaine de sponsors à notre actif. Le reste des rentrées d’argent, ce sont des subventions communales ». Un apport distribué au bon vouloir et à la possibilité des communes selon leur budget. 

Les équipes des municipalités les plus pauvres, qui ne peuvent espérer cet apport financier, doivent s’en remettre à d’autres formules comme « les recettes des buvettes et autres événements ponctuels », mentionnées par Jean-François Selle. Une dépendance aux dons et à la générosité du public qui contribue, selon Frédéric Grosjean, à « creuser le fossé entre clubs ruraux et clubs urbains. On assiste ainsi à une polarisation des clubs ».

Mais cette disparité ne date pas d’hier. Les clubs de football professionnels sont, pour la très grande majorité, basés dans les plus grandes métropoles de France. Christian Bromberger, ethnologue et professeur émérite à l’Université d’Aix-Marseille, a travaillé sur la passion populaire du football. Il raconte que ce sport « est un phénomène bien plus urbain que rural à travers son histoire. On le voit dans les rues des villes en Angleterre lors de la fin du XIXème siècle, alors qu’on ne jouait pas au foot dans les campagnes ». La ville attire, et offre aux licencié·es la possibilité de s’entraîner avec des encadrant·es qualifié·es dans des infrastructures développées. S’ajoute à cela une forte attraction de la culture urbaine pour les jeunes issu·es de milieux ruraux. 

En campagne, les difficultés s’accumulent  

Lorsqu’on liste les inégalités entre les villes et les campagnes, on pense forcément au temps de trajet. Xavier Fornel, président de l’Alliance Foot 3B (regroupant Barbezieux, Baignes et Barret), confie que « pour jouer à notre niveau (R2), certains font 40 minutes pour venir s’entraîner trois ou quatre fois par semaine ». Même son de cloche du côté de l’AS Aigre de Grégory Requena, désormais coach de la section féminine de foot à 8. « Parmi nos 26 joueuses, 12 partent jouer tous les week-ends. La semaine dernière, nous étions à Saint-Séverin. C’est plus de 2 heures de trajet sur la journée… » Le constat est identique du côté de l’UA Cognac, évoluant à un niveau semi-professionnel (National 3). « Il y a des jeunes qui ont beaucoup de temps de trajet pour aller aux entraînements et aux matchs », rapporte le président Didier Papin.

Ces inégalités de temps de déplacement majorent les inégalités économiques et sociales. Souvent assuré par les parents des licencié·es, le bénévolat footballistique en milieu rural implique de prendre sur son temps libre. « Depuis le covid, la plupart des gens se sont rendus compte que ça demandait trop d’investissement », relève Stéphane Moreau. Alors que les clubs de ville peuvent bénéficier des transports en commun, l’usage de la voiture personnelle est inévitable en campagne et engage des frais d’essence. Des disparités que l’inflation des prix des carburants a contribué à accroître inexorablement. 

Recruter en campagne, la stratégie des clubs de ville

Difficile pour les jeunes licencié·es de se frotter à un plus haut niveau sans sortir de la campagne. Car la plupart des gros clubs sont établis en ville. Nicolas Goursat, éducateur de l’Angoulême Charente Football Club, évoluant en National 2, nous explique leur stratégie vis-à-vis du recrutement des jeunes joueur·euses : « C’est un travail que l’on doit faire main dans la main avec les clubs du territoire. Angoulême ne veut pas la mort des autres clubs, mais les enfants prometteurs doivent être repérés et formés rapidement à haut niveau, dans des infrastructures plus développées. Mais chaque cas est différent. Il faut respecter un certain équilibre sous trois axes : foot, scolarité, famille. On souhaite former de bonnes personnes avant de former des footballeurs ».  
La détection de joueur·euses talentueux·euses passe aussi par des partenariats avec les clubs ruraux à l’image de l’ACFC avec Foot Charente Limousine. Chaque année, un ou deux joueur·euses intègrent le centre de formation du plus grand club du département. Celles et ceux qui ne s’affirment pas au haut niveau retournent généralement jouer dans leur club d’origine. « 90% de nos séniors sont des gamins restés au club », lance le président Stéphane Moreau.

L’espoir d’un regain rural autour du football féminin

Du côté des filles, la campagne représente un véritable vivier pour les recruteurs d’équipes féminines. Même si les équipes mixtes sont autorisées jusqu’en U15, Tom Bouvier, coach de l’AJ Soyaux, ne s’interdit pas de recruter les joueuses prometteuses plus tôt. « Bien qu’elles soient plus performantes lorsqu’elles jouent longtemps avec les garçons, nous postulons pour les recruter dès qu’elles ne veulent plus jouer dans une équipe mixte ».
Pour ce dernier, la formation sport-étude au lycée Marguerite de Valois « est presque comme un pôle d’espoir. Nous avons vocation à former 30 joueuses de haut niveau, qui viennent de toute la Nouvelle-Aquitaine ». La pratique croissante du football féminin en Charente entraîne le développement de plus en plus de petites équipes féminines, au point que « le département commence à développer des rassemblements uniquement féminins de U6 à U13 qui réunissent plus de 100 jeunes, qu’elles soient issues d’un club masculin ou non », pointe Tom Bouvier.

Avec 690 licenciées (U13 et plus) cette saison et l’apparition de nouvelles équipes, les filles contribuent à redynamiser le paysage footballistique charentais. Frédéric Grosjean est formel : « il y a de plus en plus de licenciées du côté des filles. Le nombre d’effectifs féminins augmente sur tous les territoires ».

Mais certains clubs de football continuent de disparaître, malgré une hausse des licencié·es. À première vue, l’entente et la fusion se présentent comme un remède. Elles ne semblent pas suffisantes pour maintenir en vie tous les clubs charentais. La pratique féminine, alors en plein essor, sauvera-t-elle le football de demain ?  

Marius Caillaud, Loéva Claverie, Agathe Courret, Noa Roche, Maxime Sallé, Corentin Teissier