Ces derniers mois, les associations environnementales sont montées au créneau contre la surpêche, en particulier dans le Golfe de Gascogne. Pour vérifier que les professionnel·les de la pêche respectent leurs obligations, des contrôles de bateaux ont lieu en mer ou à quai. Ces vérifications échouent à remplir leurs objectifs, ne parvenant pas à préserver la ressource.

Merlus, dorades, barbues, soles… Il y en a pour tous les goûts sur les étals du marché aux poissons de Capbreton (Landes). Comme tous les mercredis, ce 10 avril, c’est jour de marché : les passant·es sont venu·es acheter les poissons fraîchement rapportés de l’océan.

Tous les poissons invendus du marché de Capbreton sont envoyés à la criée. Photo : A.T.

Mais derrière les sourires enthousiastes des professionnel·les se cache une crise de l’industrie de la pêche et un monde opaque. De nombreuses associations, à l’instar de Bloom, luttent pour la transition écologique de cette filière. Ces organisations dénoncent la pollution et la surpêche de certains navires. En tête de proue, les chalutiers sont les plus contraventionnés sur ces dix dernières années. 

Pour protéger la ressource, une interdiction de pêche a été décidée, entre le 22 janvier et le 20 février 2024. Elle visait à freiner les captures accidentelles de dauphins et de marsouins. Des contraintes mal vécues. 

De plus en plus d’espèces surexploitées

Les dauphins ne sont pas les seules espèces en danger dans cette zone océanique. Certaines populations de poissons sont en effet surexploitées. C’est ce qu’explique le bilan 2023 de l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer) consacré au statut des ressources débarquées par la pêche hexagonale en 2022. Sur les 77 000 tonnes de poissons débarquées sur les ports du Golfe de Gascogne, seuls 37 % de ce volume est issu d’espèces “en bon état”, un chiffre en baisse depuis dix ans. Quant à la part des stocks “surpêchés et dégradés”, elle ne cesse d’augmenter. Parmi eux, la sardine, seconde espèce la plus débarquée.

Des contrôles vraiment efficaces ?

En France, quatre instances peuvent effectuer des contrôles de pêche : les affaires maritimes, la marine nationale, la douane et la gendarmerie. Ces contrôles peuvent s’effectuer en mer ou lors du débarquement.

Pour vérifier que les professionnel·les de la pêche respectent leurs obligations environnementales, les autorités effectuent régulièrement des contrôles à bord des navires en mer et à quai.

Le Conseil national de surveillance des pêches (CNSP), qui chapeaute les différentes unités de contrôle de la pêche professionnelle, a conscience des risques écologiques de la flotte française. “On applique directement le droit européen, en plus des réglementations nationales et des plans interrégionaux”, explique Célia d’Hervé, cheffe de la CNSP. Les règlements européens obligent les autorités à effectuer 60 % des contrôles sur les navires “à risque élevé ou très élevé”.  

Pour autant, l’objectif n’est pas tout-à-fait atteint. En 2023, ce taux s’élevait à 50,36 % dans le Golfe de Gascogne. “On essaye de tendre vers ces 60 %, mais pour l’instant, la réalité de la pêche ne permet pas de les atteindre”. L’une des difficultés réside dans la classification des bateaux. Pour associer un navire à un segment de flotte, trois composantes sont à prendre en compte : la zone de pêche, l’engin utilisé et la capture à bord. Or, des incertitudes peuvent peser sur ce dernier point. “On peut le contrôler quand il n’y a pas de capture à bord”, raconte la cheffe du CNSP. Dans ce cas, les navires sont catégorisés dans les registres en tant que “hors segment”. Difficile alors d’évaluer leur niveau de risque pour l’environnement.

Le mirage des aires marines protégées

Les prises doivent respecter un calibre minimum pour la vente. Photo : A.T.

En théorie, certaines zones océaniques sont plus protégées que les autres. Il s’agit des aires marines protégées (AMP). Mais dans la pratique, Célia d’Hervé admet qu’il n’existe aucun plan particulier pour en limiter son exploitation. Dans un rapport, publié en mars 2024, l’association de protection des océans Bloom analyse qu’il y a même davantage de chalutage dans les AMP. Par exemple, la zone du Talus du Golfe de Gascogne attire les pêcheurs. Une AMP de façade, qui existe bien légalement, mais n’a, en réalité, aucune efficacité. 


Et même lorsqu’il y a contrôle, tous les risques ne sont pas pris en compte : “Les contrôleurs regardent l’espèce et le poids, mais pas le calibre de chaque poisson”, déplore une vendeuse au marché de Capbreton. Ainsi, les jeunes poissons, essentiels pour la protection de la biodiversité, peuvent être pêchés, et cela sans sanction.

“C’est un système qui ne peut plus durer !”

Loïc Lhospital, patron de l’Aquila, a été contrôlé, il y a quelques semaines en mer. Une première pour lui. Photo : A.T.

“Chaque année, l’Union européenne ajoute des règlements”, s’agace Loïc Lhospital, pêcheur professionnel. “On se fait détruire par les associations”, complète une vendeuse du marché de Capbreton.

“Les ONG environnementales et les politiques ne savent pas de quoi ils parlent”, s’insurge un armateur au port d’Arcachon (Gironde). Ses bateaux sont contrôlés en mer ou au débarquement une à deux fois par mois : “Je me sens persécuté, alors que je suis en règle !” Il déplore que certains petits bateaux de moins de douze mètres passent, eux, entre les mailles du filet : ils ne sont pas tous concernés par le système de surveillance des navires par satellite (VMS), qui permet leur géolocalisation. “Donc ils ne sont pas contrôlés, et débarquent où ils veulent, soupire-t-il. Ça ouvre la porte au blackfish, à la pêche non déclarée !” 

Célia d’Hervé assure que cette zone d’ombre est prise en compte : “On surveille ces navires !” Dans le cadre du plan cétacé par exemple, ceux de moins de douze mètres qui utilisent certains engins à risques sont soumis à l’obligation de VMS. D’ici 2028, ce sera le cas de tous les bateaux. “Ça permettra d’avoir de meilleurs éléments de ciblage et de géolocalisation”, justifie la cheffe du CNSP. 

Les bateaux du port de Capbreton se préparent à reprendre la mer. Photo : A.T.

Un ancien membre du Comité régional des pêches maritimes et des élevages marins (CRPMEM) de Nouvelle-Aquitaine affirme que “c’est un système qui ne peut plus durer !” Un constat partagé par Nicolas Longis, pêcheur à Caprebton depuis deux ans : “C’est compliqué de se projeter, j’ai peur pour l’avenir”.

Une transition nécessaire

Pour lutter contre la destruction de l’écosystème marin, la “coalition citoyenne pour la protection de l’océan”, lancée par plus de soixante ONG et personnalités, a vu le jour en mars 2024. Quinze mesures sont proposées, dont plusieurs concernent la pêche : interdire le chalutage de fond, créer de véritables aires marines protégées, stopper les subventions néfastes pour l’océan ou encore défendre les petit·es pêcheur·euses en leur accordant des droits prioritaires.

L’armateur, pour sa part, n’est pas d’accord avec l’interdiction du chalutage. Il propose plutôt des zones précises réservées à ce type de pêche : “Les chaluts ont besoin de diversité”, assure-t-il. De son côté, Nicolas Longis promeut une pêche plus durable et respectueuse de l’environnement des petits navires : “On essaie pas de faire juste du chiffre comme les gros bateaux, on souhaite une rentabilité sur le long terme, sur toute une vie”.

La pêche artisanale est majoritaire dans le Golfe de Gascogne. Photos : A.T.

Si le secteur de la pêche a évidemment un rôle à jouer dans la préservation de la population marine, les consommateur·rices peuvent également avoir un impact. La France se positionne comme l’un des plus grands producteurs européens. En 2021, selon France Agrimer, 483 000 tonnes de produits de la mer sont pêchées. Mais la demande française reste bien supérieure à ce que le pays est capable de produire. En 2020, elle s’élève à 1,2 million de tonnes de produits aquatiques. Chaque Français·e consomme en moyenne 33,5 kg de produit de la mer par an, et 22kg sont importés – principalement du saumon, des crevettes tropicales, du thon et du cabillaud.

Manger moins de produits de la mer?

Alors, faut-il manger moins de poisson pour préserver nos océans ? Oui, d’après les associations qui luttent pour la préservation marine. Dans son guide de consommation, WWF propose un panel de gestes à adopter : “manger moins de poisson (pas plus de deux portions par semaine)“ arrive en tête de la liste. Vient ensuite “varier les espèces”, afin d’atténuer les pressions sur les populations les plus exploitées.

Le merlu est le poisson le plus prisé dans le Golfe. Photo : A.T.

Faire attention à l’origine des produits que l’on consomme est aussi une solution. Au marché de Capbreton, Eveline est une habituée. “J’achète toujours mes poissons ici, s’exclame-t-elle. Au moins, je sais qu’ils sortent directement du bateau !” Des produits locaux, c’est certain, mais dont elle ne connaît pas forcément l’impact environnemental. “Quand même, maintenant, les réglementations européennes nous demandent de mettre la zone et le type de pêche sur les étiquettes !” détaille Marjorie, qui sert la cliente.“En tout cas, à la cuisson, on sent la différence du poisson frais !”, sourit cette dernière.

Pierre Bayet, Agathe Di Lenardo, Paul Florequin, Jules Joué et Alexandre Tréhorel