Le 8 mars 2024, la liberté d’avoir recours à une Interruption volontaire de grossesse (IVG) a été inscrite dans la Constitution. Si cette avancée est majeure pour le droit des femmes, la réalité sur le terrain n’est pas toujours la même. Surtout en Gironde, où les disparités géographiques limitent ce droit. Le département recense 50 lieux pour avorter parmi lesquels 30 d’entre eux se trouvent à Bordeaux.

« Il y a une grosse concentration de lieux pratiquant l’IVG à Bordeaux centre et dans la métropole, mais dès qu’on s’éloigne des zones urbaines, les possibilités se réduisent. » alerte Annie Carraretto, la co-présidente du Planning familial de la Gironde. Le territoire du Médoc, dans le nord de la Gironde, est particulièrement touché par cette pénurie. Seules deux sages-femmes pratiquant l’IVG, couvrent une zone de plus de 30 000 habitants, à la Clinique Mutualiste de Lesparre et à Saint-Laurent-Médoc. Elles réalisent uniquement des IVG médicamenteuses, et jusqu’à neuf semaines de grossesse. « Le Médoc est une région rurale souvent oubliée », souligne Conchita Cimbron, présidente de l’association médocaine Agir contre les violences faites aux Femmes (ACV2F), depuis 2021.

© Marie-Lou Legrand-Le Guern, à partir des photos de Sofia Goudjil

Honorine Grassi est sage-femme libérale à Saint-Laurent-Médoc depuis quatre ans. En 2024, elle a prescrit 36 pilules abortives. Selon elle, le nombre de femmes qui ont été accompagnées pour avorter est deux fois plus important à la clinique mutualiste de Lesparre. Lorsque les patientes dépassent le délai de neuf semaines pour l’avortement médicamenteux, elle les redirigent vers l’avortement chirurgicale, possible jusqu’à la fin de la 14e semaine de grossesse. Dans le Médoc, quand les femmes ne peuvent pas bénéficier d’une solution médicamenteuse, elles sont obligées de se déplacer à Bordeaux, à leur frais, pour une IVG chirurgicale. Dans ces conditions : « Les femmes les plus précaires peuvent être impactées par ces inégalités territoriales. » confie la sage-femme. « Elles n’avortent jamais de gaieté de cœur, ça ajoute une difficulté supplémentaire. » ajoute-t-elle. Pauline*, âgée de 24 ans, a avorté à Bordeaux. Elle décrit l’importance de son choix, mais aussi sa difficulté : « Lorsque je suis tombée enceinte, je me sentais comme une ado de 14 ans à qui on annonce qu’elle va être maman. La situation ne s’y prêtait pas du tout. Je veux des enfants plus tard, sincèrement, mais me retrouver dans cette situation, ça aurait bouleversé ma vie. C’était comme être dans un cauchemar. »

L’association ACV2F dénonce d’ailleurs l’impact psychologique que ce manque d’accès à l’IVG a sur les femmes. « Il y a deux ans, nous avons accompagné une femme pour avorter à Bordeaux. Elle avait dépassé le délai pour pouvoir avorter à la clinique de Lesparre. Sans notre aide, elle n’aurait pas pu le faire. Les femmes isolées et touchées par la précarité renoncent à leur projet d’IVG. C’est psychologiquement très difficile pour elles. » précise Conchita Cimbron.

Autre entrave aux soins : le manque de connexion entre les villages. D’après Honorine Grassi, pour des femmes résidant dans les communes éloignées comme Saint-Vivien-de-Médoc ou le Verdon, il est difficile d’accéder aux cliniques et aux cabinets des zones mieux desservies par les transports en commun.

Une disparité territoriale marquée

La situation du Médoc est flagrante en comparaison avec d’autres territoires de Gironde, comme dans le Bassin d’Arcachon. L’avortement y est accessible dans sept établissements. « L’accès à l’IVG sur le bassin d’Arcachon est facile. Il y a le Centre hospitalier d’Arcachon et de nombreuses sages-femmes qui pratiquent l’IVG. Dans notre cabinet, on n’a aucune difficulté, les patientes sont prises à temps », assure Clémentine Dumont, sage-femme à La Teste-de-Buch.

Selon la carte réalisée à partir de notre base de données qui recense les praticien·nes de santé qui effectuent des avortements (sages-femmes, centres hospitaliers, gynécologues, hors médecins généralistes), le sud de la Gironde est également une zone rurale touchée par le manque d’accès à l’IVG. « Il y a un creux du côté du territoire sud-girondin et des communes comme Belin-Béliet ou Hostens », assure Catherine Rouat, sage-femme à Léognan. La pilule abortive ne peut pas être prescrite par téléconsultation ou sur ordonnance de n’importe quel médecin. Il faut que les femmes se déplacent dans un espace agréé : « Il peut y avoir des téléconsultations en pré-IVG et en post-IVG seulement ». Langon dispose seulement de deux établissements pour avorter : le centre hospitalier et le pôle santé. Le premier a une antenne à La Réole. Christine*, une sage-femme du Sud-Gironde, souligne aussi le problème des échographies : « L’accès à une échographie pour les IVG sont difficiles dans notre zone. Certains professionnel·les de santé pratiquant l’IVG médicamenteuse n’ont pas les installations nécessaires pour réaliser les échographies spécifiques. » Selon Christine, sur ce territoire, ce sont les médecins généralistes qui favorisent au mieux l’accès à l’avortement. Catherine Dupont-Biscaye est dans ce cas. Médecin généraliste à Preignac depuis 30 ans, elle réalise 20 à 25 avortements médicamenteux en moyenne par an.

Charge mentale et avortement

« Cela devrait être plus accessible au niveau des praticiens. Je connais quelques personnes qui ont eu recours à l’IVG et ça a toujours été difficile »

Lola

« Je ne pratique pas l’IVG, car je n’ai pas la formation. » indique Léa Galinier, sage-femme à La Teste-de-Buch. Pour pratiquer une IVG, même médicamenteuse, il faut réaliser une formation de trois jours auprès d’un hôpital, puis y être affilié. Lorsqu’un médecin ou une sage-femme souhaite pratiquer des IVG dans son cabinet de ville, il ou elle doit conclure une convention avec un établissement de santé autorisé à pratiquer des IVG.

Deux idées reçues sur l’IVG en Gironde

« Cela devrait être plus accessible au niveau des praticiens. Je connais quelques personnes qui ont eu recours à l’IVG et ça a toujours été difficile », confie Lola, qui a avorté en juin 2024 à Bordeaux. Certaines sages-femmes en Gironde peinent à obtenir une convention avec d’autres hôpitaux pour pouvoir élargir leur champ d’accès, ce qui réduit les possibilités des femmes pour avorter. Depuis deux ans, Honorine Grassi tente de passer une convention avec le centre hospitalier de Pellegrin pour pouvoir accueillir des femmes de la métropole, en vain. « Ce sont les femmes qui sont impactées directement », s’agace-t-elle. Catherine Rouat fait le même constat : « Les hôpitaux dépassent le niveau d’exigence demandé par la loi. »

À la charge mentale portées par les femmes s’ajoutent les nombreux freins à l’avortement, comme les inégalités territoriales et informationnelles : « C’est une expérience traumatique parce qu’on est seules et apeurées. L’IVG se compte en semaines, et les semaines passent très vite. Si on est mal orientées, ça aura forcément un impact. » souffle Pauline.

Quand les problèmes d’accès à l’IVG sont synonymes de problèmes d’accès à l’information : S’informer avant d’avorter, le parcours de combattante des girondines

*Le prénom a été modifié

Haby-Gaëlle Dembélé, Sofia Goudjil, Loretta Legrand, Élise Raimbaux, Sarah Rodriguez, Justine Rouillard